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L'ennemie

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Tu t’endors et tu te réveilles en ne pensant qu’à ça. Appelons là l’ennemie.

Tu t’endors grâce à elle.

Le matin, tu te réveilles en te détestant à cause d’elle. Chaque matin, les mêmes gestes. Ouvrir les yeux. Essayer de se rappeler de la soirée de la veille. Se lever. Tenter de se lever. Se dépêcher d’aller regarder son visage dans le miroir. Bouffi. Espérer ne pas être jaune, couleur cirrhose. Observer chaque jour l’apparition de veines rouges qui viennent maquiller le haut de tes joues.

Transpirer. Tous les matins un peu plus. Toute la fratrie a froid. Toi, tu transpires. Au point d’avoir du mal à te maquiller car tu perles de l’ennemie qui suinte.

Prendre un doliprane pour donner le change. Se détester. Se répéter que c’était la dernière fois. Que plus jamais.

Ne plus se reconnaître. Réaliser qu’on ne s’est jamais connue vraiment.

Partir au travail car c’est ce qui te tient. Te répéter comme un mantra « je ne boirais plus, je ne boirais plus, je ne boirais plus ».

Passer la journée à travailler, à oublier, à rire. La culpabilité s’éloigne. Le maquillage a effacé toute trace. Tu as mangé le midi, ton estomac te remercie de l’avoir rempli d’autre chose que de l’ennemie.

La journée est finie, une deuxième démarre. Celle où tu vas devoir gérer la maison, tes filles, les devoirs, les bains, les chats. Toi, responsable de toutes ces petites vies qui ne tiennent que grâce à toi alors que tu n’as même pas encore conscience d’être devenue ni mère ni adulte.

Alors, machinalement, sans y penser, comme un pantin ridicule, tu vas voir ton pote l'épicier. Qui t’accueille comme une sœur qui lui verse un loyer mensuel. Après tant d’années, tu es devenue maligne. Fini les grandes bouteilles trop visibles. Tu prends des petits formats, plus facile à cacher. Leur taille te déculpabilise. Moins il y en a moins tu boiras. Sauf que de une petite bouteille, tu passes très vite à deux, puis 4.

Tes filles ne doivent jamais te voir boire. C’est ta seule priorité. Ton dernier barrage. A leur âge, c’est facile de cacher cela. L’une est dans son bain, l’autre fait ses devoirs. Le premier verre servi est caché dans la cuisine où tu as toujours une bonne raison d’aller. De gorgées en gorgées, de petites bouteilles en petites bouteilles, la chaleur monte. Tu n’es pas ivre. Il t’en faudrait bien plus. Tu es juste bien. Bien. Détendue. Pour supporter la routine penses-tu. Pour supporter les cris, les pleurs, les devoirs, cette deuxième journée. Pour supporter ton reflet, ton âme, ton être.

Ton mari va rentrer. Comme tous les soirs, après avoir retirer sa veste, il va ouvrir le frigo. Tu le sais. Tu as observé ce reflexe chez lui. Soit il ne verra pas les bouteilles cachées dans le fond soit toutes les bouteilles sont déjà bues. Et cachées. De petits cadavres en petits cadavres, tu joues au petit poucet avec l’ennemie.

Au fond de la poubelle, ça fait trop de bruit. Dans le carton de la litière, c’est pas mal. Dans la cheminée, c’est quand tu bois dans le lit.

Ta vie tourne autour de l’ennemie : comment t’en procurer ? Quel évènement organisé pour pouvoir la consommer ? Comment la cacher ? Pourquoi bois-tu ? La culpabilité, la peur, les recherches sur internet, les vidéos d’alcooliques en fin de vie.

Alors tu prends rendez-vous chez un addictologue. Décembre 2016. Rencart à 13h00. Je rentre dans le cabinet, il me demande la raison de ma présence. Pour la première fois de ma vie, je prends sur moi et prononce cette phrase « Bonjour. J’ai 38 ans et je suis alcoolique ».

Pendant 30 minutes, il m’explique que ce n’est pas possible car : 1 / un « vrai » alcoolique n’aurait pas prononcé cette phrase – 2/ un alcoolique est une personne qui ne peut pas se passer d’alcool pendant 7 jours successifs, ce que je fais aisément.

Mais bordel, laisse-moi être une alcoolique ducon ! Les 7 jours où j’arrive à ne pas boire, je ne pense qu’à ça. Non, cela ne lui convient pas. Je ne dois pas avoir la gueule de l’emploi. Je me casse. Et puisque je ne suis pas une alcoolique selon un éminent professionnel spécialiste, continuons vers ce suicide en pointillé qui m’amènera vers une hépatomégalie, lésion du foie qui souffre depuis tant d’années de cuite. Prochaine étape, la cirrhose, puis le cancer.

Ca recommence : tu bois, tu culpabilises, tu dors mal, tu as peur, tu rebois, tu te jures d’arrêter. C’est un cercle infernal. Un monstre a soif dans ton cerveau et il faut le nourrir. Mais le nourrir te fais mourir.

13 juillet 2017. Je dois gérer un évènement important sur lequel je stresse depuis des mois. Je suis certaine de ne pas être à la hauteur de cette cérémonie que j’ai organisée complétement seule. Allez, on va boire un coup en attendant le moment fatidique.Tu vas te mettre une roustre. Une nouvelle, qui sera, tu ne le sais pas encore, la dernière.

Ce soir, tu partiras en famille pour un week-end de trois jours. En rentrant, tu donneras le change, comme d’habitude.

Les heures passent et le stress donne un goût nouveau à l’ennemie. Celui de l’ivresse mauvaise, de la peur, de l’angoisse, du blackout, une amnésie de cette soirée où il semble, parait-il, que j’ai extrêmement bien géré. Et l’évènement, et les appels téléphoniques, et les relations avec les autres.

Je rentre. Je ne sais pas comment. Comment et dans quel état.

14 juillet 2017. 13h00. Je me réveille de ce qui me semble être plus près d’un coma que d’un sommeil. Nous ne sommes pas partis. Je vais dans la cuisine : une bouteille de vin blanc est posée sur le meuble. Il me semblait pourtant l’avoir rangé au frigo. Comme un zombie alcoolisé qui apporte ses réserves pour se rassurer. Mon mari me regarde d’un regard que je ne lui ai jamais connu. Il envoi mes filles dans leur chambre et m’ordonne de m’assoir.

Il me rejoint avec la bouteille trouvée plus tôt. Il ne crie pas. Mais ses yeux transpercent la déception, la colère, la haine de cette bouteille, de l’ennemie. Il me dit qu’il va m’aider mais que c’est fini. Et il prononce le mot, ce mot tabou jusqu’alors. Tu es alcoolique. Il prononce cette phrase de manière ferme mais bizarrement avec beaucoup d’amour. « Tu es alcoolique mon chouchou. ». Il me demande ce que j’ai fait la veille. Il me presse de questions. Auxquelles je suis incapable de répondre. Je suis transie de froid. J’ai peur. Je tremble et essaie de ne pas lui montrer que je suis à deux doigts de m’évanouir. Je suis persuadée à ce moment-là qu’il va me quitter, comme tout être humain quitte un jour l’alcoolique qui leur pourrit la vie. Je suis effrayée et une boule au fond de ma gorge empêche le son de sortir de ma bouche qui souhaiterait tellement hurler.

Il me laisse là. Assise sur le canapé. Il s’habille. Il habille les filles. Je me fais la remarque idiote qu’il n’a même pas eu besoin de mon aide pour les habiller. Qu’il pourrait donc vivre sans moi et elles sans leur mère. Que mon passage s’effacerait avec le temps, qu’il suffirait d’expliquer aux proches que j’étais alcoolique. Il part. Avec nos filles. Je me retrouve seule dans cet appartement trop grand qui semblent en faire le double sans leur voix, leur cris, leur bruits de pas.

Je pense à me suicider. A en finir pour les soulager. Alors, sur un dernier instinct de survie, j’appelle une amie. Je lui dis tout, depuis ma fenêtre de la cuisine. Elle me parle, me rassure, me raccroche à ma vie, à mon mari, à mes filles.

Je réalise, avant même qu'ils ne rentrent, que je viens de vivre le plus beau moment depuis ces 8 dernières années. Je viens d’être libérée. Mon mari vient de me sauver. J’avais simplement besoin de cet électrochoc qui fut plus puissant qu’un arrêt cardiaque, qu’une cirrhose ou qu’un cancer de colon. L’électrochoc de me retrouver seule après une telle discussion, me permettant de me projeter dans l’avenir lugubre qui m’attendait si je continuais sur cette voie.

Le 14 juillet 2017, sans le savoir, mon mari me sauva la vie. Il sauva notre famille. Il sauva l’avenir de mes filles qui grandiront près de leur mère. Il sauva mon foie qui ne subira plus cet assaut quotidien de l’ennemie et dont l’hépatomégalie guérira progressivement. Il sauva mon âme grâce aux trois jours silencieux qu’il m’imposa ensuite.

Je fêterai cette semaine 3 mois sans alcool, le 14. J'ai demandé hier un bilan sanguin complet. J'aurai les résultats demain soir. J'espère que l'hépatomégalie aura régresser....

Il parait que je suis née en mars 1979. C’est écrit sur mon livret de famille.
Je suis née le 14 juillet 2017, sur le canapé de mon salon familial entouré d’anciens cadavres de l’ennemie.





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