Par chat

Chattez avec
Alcool Info Service

Par téléphone

Alcool Info Service répond
à vos appels 7 jours sur 7

Contactez-nous

Adresses utiles

Forums pour l'entourage Télécharger en pdf Imprimer Envoyer à un ami

Au bout de mon histoire

Par Profil supprimé

Si je suis arrivé ici, c'est, vous l'avez deviné, que j'ai vécu, moi aussi, une histoire d'alcoolisme. Elle commence il y a à peu près une trentaine d'années, lorsque je me suis inquiété d'un comportement anormalement bizarre de mon épouse, rapidement suivi de la découverte des premières bouteilles cachées. Nous avions alors trois enfants: l’aîné avait seize ans, la petite dernière huit ans. Nous avions tous les deux un emploi, dans l'éducation nationale, nous avions acheté une maison, les enfants réussissaient bien leur scolarité. Bref, un avenir souriant, si ce n'est d'incessantes querelles et menaces de voisins asociaux (le terme est faible) qui nous pourrissaient la vie et qui m'ont plongé dans une dépression assez sévère.
J'ai passé, avec succès, malgré tout cela, un concours qui m'a permis d'obtenir accessoirement un logement de fonction et donc de m'éloigner provisoirement des nuisances du voisinage. Au fur et à mesure que je reprenais de l'assurance en réussissant dans mon travail, la situation de mon épouse se dégradait régulièrement.
Elle exerçait alors à plusieurs dizaines de kilomètres de notre domicile et devait utiliser une voiture ou prendre le train. Quel que soit le moyen de locomotion, elle rentrait manifestement ivre. Ceci a duré assez longtemps, jusqu'à ce qu'un premier accident ne m'oblige à prendre les choses sérieusement en main. Jusque là elle avait revendiqué haut et fort la liberté de se soigner elle-même, de choisir sa vie, de savoir ce qu'elle faisait et rejetait toute intrusion dans sa sphère intime. Elle a accepté finalement une hospitalisation avec groupes de parole. Je l'ai accompagnée dans une association, où elle pouvait rencontrer des personnes alcooliques abstinentes: elle l'a rapidement quittée et j'y suis resté une quinzaine d'années, après y avoir créé un groupe pour l'entourage.
Dès son retour, l'alcoolisation a repris, jusqu'au second accident automobile, qui m'a conduit à faire une demande d'hospitalisation d'office, au cours de laquelle nous avons suivi une thérapie de couple avec deux infirmières psychologues. A la suite de cet épisode, elle a obtenu un congé de plusieurs mois et elle est restée seule à la maison. J'avais pris alors ma fille avec moi, dans le nouvel établissement où je venais d'être affecté, pour soulager sa mère d'une part et pour préserver ma fille d'autre part. Nous rentrions le weekend à la maison, toujours avec une anxiété qui s'avérait malheureusement toujours justifiée. Les grands enfants sont partis dans des villes universitaires, la petite a obtenu le bac, et l'alcoolisation a continué.
Jusqu'au jour, où je fus informé par mon fils que sa mère avait eu un accident, que la voiture était morte, mais que mon épouse était indemne. A la suite de cet accident, elle fut condamnée à une amende, quinze jours de prison avec sursis, une suspension de permis de 18 mois et une obligation de soins. Je l'ai donc véhiculée pendant un an tous les dimanches pour se rendre à son travail à quatre vingt kilomètres et je revenais la chercher tous les samedis.
Aujourd'hui elle est à la retraite depuis treize ans, et moi-même depuis dix ans. Elle a eu une période d'abstinence heureuse de trois ou quatre ans, au début de sa retraite et a rechuté peu après mon admission à la mienne. J'ai toujours été très actif dans diverses associations, je fais du théâtre, bref je meuble ma retraite de la façon la plus agréable possible. Elle a toujours décliné les offres que je pouvais lui faire de s'associer à ces activités. Elle n'a jamais pris d'initiatives pour faire des activités qu'elle aurait choisies elle-même. Et l'alcoolisation continue. Nous avons actuellement sept petits -enfants. Les seules périodes d'abstinence qu'elle connait sont celles que nous passons ou qu'elle passe chez nos enfants. Dès que nous reprenons le chemin de la maison, je sais que c'est le chemin de la ré-alcoolisation, avec toute les silences, la non-communication, les parties de cache-cache avec les bouteilles, les colères, les mensonges, le déni, les insultes, les disputes, l'abattement, le désespoir, qui accompagnent toujours le quotidien d'un foyer où il y a une personne alcoolique, et que vous connaissez bien pour les avoir décrits dans tous les témoignages que j'ai pu lire
Je suis à bout, mais je suis surtout au bout de ma vie et j'en arrive à penser que j'ai droit moi aussi à un peu de sérénité et j'envisage de prendre un studio, un endroit où je serais délivré de tout ça. Je ne sais pas si j'arriverais au bout de la démarche, parce que je me fais encore du souci au sujet de ce qu'elle pourrait devenir. (Combien de fois en sommes-nous arrivés aux mains elle et moi pour nous disputer les clefs de voiture!). Je ne voudrais pas par exemple qu'elle soit l'auteur d'un accident, qui pourrait avoir des conséquences dramatiques pour les autres.
Voilà c'est mon histoire et ma contribution à ce forum: Je n'attends aucun jugement ni positif,ni négatif, je m'efforce moi-même de ne pas en porter. C'est une maladie compliquée, où le but à atteindre, l'abstinence, est en même temps le remède, le moyen pour y parvenir. Ma vie aurait pu être différente, je l'aurais souhaité. Mais je suis bien obligé d'accepter ce sentiment d'échec, d'impuissance à changer les choses. Le plus difficile est sûrement ce sentiment de responsabilité que je ressens, puisque j'ai partagé cette vie et sûrement il y a des choses que je n'aurais pas dû faire, des choses que j'aurais dû faire autrement. Et j'en arrive même à me demander si je ne suis pas la cause de tout ça. Mais bon, s''il y avait des recettes ça se saurait depuis longtemps.
Je sais seulement que ça m'a fait du bien de lire des témoignages, parce qu'on se sent moins seul: la même souffrance, partagée, nous assure que nous restons avant tout des hommes et des femmes vivants, parce que nous ressentons les mêmes émotions, et ce n'est pas rien, quand nous devons affronter dans la solitude une maladie qui ravale l'homme au niveau de la bête. Je trouve également que la parole libère, qu'elle force à une réflexion qui ne peut être que salutaire. Et le soulagement que je ressens à la fin de cet article, va m'aider à affronter la situation...
Cela fait trois jours qu'à la suite d'une partie de cache-cache, deux bouteilles presque terminées sont sur la table de la cuisine. Cela fait trois jours qu'elle n'a quitté sa chambre que quelques minutes la nuit...Hier et avant-hier, je suis allé à mon réveil lui demander si elle avait quelque chose à dire. Ce matin je n'y suis pas allé. Je pars pour l'après-midi à une de mes activités. Je vais m'évader un peu. Je sais que les choses ne dépendent pas de moi, mais je vais m'efforcer de faire de mon mieux. La vie continue. Ce soir, je vais rentrer...

Fil précédent Fil suivant

Répondre au fil Retour